Lettre à M. le Président Macron: L’école, ou la faillite de la République
En hommage à mon grand-père, qui a du arrêter l’école à 12 ans mais pouvait citer Corneille et La Fontaine dans le texte
En hommage aussi à Albert Camus, dont la mere était illettrée et qui a dédié son prix Nobel de littérature à son instituteur en Algérie
- M. le Président, Titanic est le premier mot qui me vient à l’esprit à propos du système de l’Education Nationale qui m’a permis de rentrer à l’ESSEC et de débuter ma carrière. Malgré de nombreux signaux, ses responsables, tels le commandant du célèbre navire, continuent pourtant de prêter la sourde oreille à son naufrage.
Je travaille depuis 10 ans dans l’éducation mais je n’ai pourtant pas choisi d’être enseignante. Certains de mes élèves disent que je suis leur «coach», d’autres disent «une professeure remarquable, dynamique à en mourir et d’un positivisme sans limite», leurs parents expliquent parfois que je fais des «miracles»; je ne suis pourtant pas magicienne. Je me définis simplement comme «Liora», passionnée par l’enseignement, passionnée par la réussite de mes élèves. Je vis par ailleurs à l’étranger, ce qui me permet de prendre un certain recul et de comparer avec d’autres systèmes.
La simplicité de mon constat est désarmante: le niveau du système éducatif français, en particulier public, baisse chaque année, distancé par de nombreux pays de l’OCDE, dans le classement de laquelle par exemple nous pointons au rang 26 en sciences et en mathématiques. «Inégalités scolaires», «motivation des élèves et des enseignants», ces maux cités reflètent mon expérience ainsi que celle de nombre d’entre nous. Pourtant, les changement apportés ces trente dernières années n’améliorent en rien la situation. Cette simple illustration en dit long: les résultats baissent - pas de problème, simplifions les programmes et les examens, les résultats s’amélioreront! Un peu de sérieux, de pragmatisme et de bon sens s’imposent.
Mettre en place dans les zones d’éducation prioritaire des aménagements spéciaux en y allégeant les classes serait probablement salutaire, comme partout ailleurs. Se concentrer sur l’école primaire en renforçant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul permettrait sans doute de lutter contre l’accumulation de lacunes dès le plus jeune âge, même si la mise en pratique de ces mesures restent pleinement à déterminer. S’arrêter là serait pourtant se concentrer sur une bien faible partie des lacunes du système.
M. le Président, ne manquez pas une occasion unique de rendre à la France sa place dans le monde, de lutter contre le chômage et d’arrêter l’exode de talents, une occasion unique de préparer nos enfants à rentrer pleinement dans la vie active en nous disant que nous avons tout donné pour leur réussite, quelques soient leurs origines et leurs moyens.
M. le Président, notre système éducatif est archaïque, dépassé par le progrès, inadapté aux contraintes du monde du travail, incapable de faire face. Les défis pour nos enfants et nos enseignants, nos responsabilités, sont pourtant clairs:
- maîtriser la langue française et ses subtilités, l’orthographe, la grammaire
- maîtriser les mathématiques et donner une culture scientifique
- transmettre la culture française, l’histoire de notre pays et la fierté d’être français
- maîtriser une ou plusieurs langues étrangères
Ces défis sont essentiels mais ne représentent que des briques dans la formation d’un élève et dans les devoirs des enseignants. D’autres défis bien souvent oubliés s’imposent pourtant aussi à nous pour donner les meilleures chances dans la vie à nos enfants:
- transmettre le goût d’apprendre
- apprendre à présenter son travail, à se présenter - la forme importe bien souvent plus que le fond
- apprendre à apprendre, c’est à dire expliquer ce qui est attendu des élèves, comment aborder des énoncés, des problèmes, comment structurer un raisonnement et un rendu, quelle que soit la matière; transmettre une méthodologie
- transmettre les attentes du monde de travail et de la vie d’adulte, ce qu’est le professionnalisme, et s’assurer que tout élève aura de quoi remplir son CV, aura acquis les qualités de base requises pour sa future carrière
- transmettre le civisme, ainsi qu’une conscience environnementale
- transmettre le respect de l’autorité
M. le Président, il reste cependant à aborder le plus grand défi: transmettre la motivation, le désir de réussir, et montrer que nous avons confiance en nos enfants, dans leur capacités, que nous ne lâcherons rien, que nous investirons le temps nécessaire, à défaut peut être de l’argent s’il fait défaut. Ainsi seulement nous aurons tout donné.
M. le Président, ne baissons plus les bras sous prétexte que le changement est trop difficile, qu’il n’est pas acceptable, qu’il bousculerait trop d’idées convenues. Les idées convenues ne conviennent plus.
Certaines solutions ne relèvent pourtant pas de l’utopie, et s’adressent à tous, pas seulement aux zones d’éducation prioritaires. Voici quelques idées:
- arrêtons de simplifier les programmes, le problème n’est pas là - pour preuve les enfants réussissaient bien à suivre le rythme il y a 30 ans; au contraire, encourageons l’exigence et non le laxisme
- corrigeons de manière systématique les devoirs faits en classe et à la maison
- remettons en place les dictées et l’apprentissage sérieux des règles de grammaire: la grammaire n’est pas intuitive
- revenons à l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique
- encourageons le calcul mental et non l’utilisation de la calculatrice
- encourageons les élèves à faire des fiches de cours pour améliorer leur compréhension, en particulier pour ceux dont la mémoire est visuelle
- apprenons à structurer un raisonnement, à rédiger une réponse; apprenons à nos enfants à décortiquer un énoncé scientifique, à le visualiser si besoin
- intégrons dans le programme de manière obligatoire des présentations orales régulières sur des sujets choisis par les élèves, ou parfois imposés
- utilisons des cas pratiques dans l’enseignement et non seulement des cours “magistraux”; encourageons plus encore le travail de groupe
- utilisons aussi des exemples de la vie courante moderne dans l’enseignement, remettons à jour nos cours, cela motivera plus les élèves; le système éducatif français ne donne pas aujourd’hui aux élèves l’ENVIE d’apprendre, l’ENVIE d’étudier : «Les métamorphoses» d’Ovide en 6ème!
- mettons en place avec certains élèves qui en ont le plus besoin une revue plus détaillée et individuelle par les professeurs des copies de devoir en classe notées dans le dernier quartile
- impliquons plus, sur une base de volontariat, les parents dans la vie scolaire pour recréer un lien ayant parfois disparu avec leurs enfants
- faisons plus participer les entreprises dans le cadre d’un programme national de contribution d’heures d’apprentissage en classe, sur ce qu’est le monde professionnel et ses attentes, au moyen de cas pratiques et non d’exposés théoriques. Utilisons aussi ces contributions charitables, communes dans certaines entreprises à l’étranger, pour apporter un soutien plus individualisé en cas de besoin aux élèves pour combler leurs lacunes, à complémenter par des heures de soutien d’enseignants tiers.
M. le Président, certains constats alarmants n’ont pourtant pas de solution facile, et demanderaient des changements plus radicaux, qui seraient vécus de manière douloureuse par certains, mais qui seraient essentiels si nous souhaitons relever pleinement nos défis.
En regardant les cahiers de mes élèves de milieu de primaire qui ignorent l’existence du passé simple et du passé composé, ne maîtrisent pas du tout le futur et à peine l’imparfait, je repensais aux cahiers de maternelle de mon père : à 4 ans, en Algérie, il écrivait déjà des phrases complètes au présent sans faute d’orthographe ni de conjugaison.
Je me souviendrai toujours de la fierté qui emplissait les yeux de mon grand-père, confortablement installé dans un fauteuil du hall d’entrée de l’ESSEC dont il ne voulait plus sortir, le jour de la réunion de rentrée des nouveaux admis : sa première petite-fille venait de réussir le concours d’une des écoles de commerce les plus prestigieuses de France.
En le regardant dans ce fauteuil, ce n’était pas de moi mais de lui dont j’étais la plus fière. Si j’avais travaillé très dur en classe préparatoire pour en arriver là, mes débuts dans la vie avaient été beaucoup plus faciles que les siens. Né en Algérie dans une famille pauvre avec 3 frères, orphelin de père à 3 ans et par la suite habillé par l’Assistance publique, il avait ensuite très bien réussi, bien qu’il ait dû arrêter ses études après le certificat d’études pour subvenir aux besoins de sa famille. Il parlait encore, soixante-dix ans après, avec le plus grand respect et des larmes dans les yeux, des maîtres d’école qu’il avait eus.
«Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé» écrivit Albert Camus à Louis Germain, son premier instituteur, quand il reçut le prix Nobel de littérature.
C’étaient ses instituteurs qui avaient permis à mon grand-père d’acquérir une solide culture générale, une vraie connaissance de la littérature française, de bonnes bases en sciences en à peine quelques années. Ceux qui l’avaient poussé, conseillé et donné les moyens de réussir dans la vie, à force de travail et de volonté. Ceux qui avaient cru en lui.
Cette passion qui m’anime pour la réussite de mes élèves semble cruellement faire défaut aujourd’hui. Ma passion me conduit souvent à une exigence, une rigueur certaines qui sont trop souvent absentes du système scolaire. Ainsi, l’école me semble aujourd’hui synonyme d’abandon : abandon de certains professeurs qui font trop souvent preuve de «laxisme» (citation d’une enseignante de français au collège), qui n’ont pas une autorité suffisante pour tenir leur classe, et qui ont renoncé à essayer de donner à leurs élèves l’ENVIE d’apprendre; abandon des élèves face à la difficulté; abandon des parents qui ne font pas suffisamment d’efforts ou qui ne savent pas suffisamment accompagner des enfants qui grandissent trop vite. Ainsi, les enfants que je côtoie au quotidien ne comprennent souvent ni les enjeux de l’éducation, ni ce qu’on leur demande concrètement à l’école.
Je suis convaincue qu’il n’est pas trop tard pour changer les choses, et refaire de l’école publique le pilier de l’intégration et, plus que tout, de l’égalité des chances qui aujourd’hui n’est plus qu’un souvenir lointain et un mythe de la République dont se bercent certains politiciens ou citoyens bien-pensants. Introduire une certaine notion d’obligation de résultats sera peut être nécessaire. Sinon, sans cette égalité des chances, la société française se rapprochera chaque jour d’une société dans laquelle, sans les «bons parents» disposant de moyens suffisants et des bons contacts, il sera tout simplement impossible de bénéficier de l’ascenseur social.
M. le Président, vous avez parlé devant nous d’audace. Ayons l’audace de repenser l’éducation, pas de la réformer. Et transmettons cette audace à nos enfants.
Liora CHICHE-KOWNATOR
Lillyko Tutoring
www.lillyko.com